En 1856, Hiroshige commence à concevoir ce qui devait être sa dernière grande série et son chef-d'oeuvre « Les cent vues célèbres d'Edo ». Chaque tirage de cette série est un classique. En tirant parti du format vertical, Hiroshige parvient à capturer des tranches de vie de la capitale, de façon spectaculaire et extrêmement moderne dans ses cadrages. La série fut très populaire et il y eut de nombreux tirages.
Cette série comporte en fait cent dix-huit estampes, et quand Hiroshige meurt en 1858, il n'aura pas fini son projet. Très riche en couleurs, cette série va exiger de très nombreuses planches de gravure, ce qui implique pour l'éditeur un temps de travail de gravure et d'impression plus long et plus cher. Hiroshige va apporter une attention toute particulière à la qualité de l'impression et travailler avec l'éditeur Uoya Eikichi, connu pour avoir édité les estampes d'acteurs de kabuki de Kunisada, prêt à s'investir dans une édition de luxe, utilisant des papiers de haute qualité et faisant largement usage des dégradés (technique du bokashi).
Mais l'élément nouveau de cette série est la manière dont Hiroshige va expérimenter la représentation des sites de la ville. Il opte tout d'abord pour le format vertical, celui qu'il privilégie vers la fin de sa vie. A plusieurs reprises, il applique la perspective à l'occidentale, caractérisée par un point de fuite, situé parfois, en dehors de l'image, il nous offre des vues très dégagées à l'arrière plan, ce qui n'est possible qu'en "trichant", c'est à dire en intégrant dans un même motif deux angles de vues différents. D'autre part, très souvent Hiroshige introduit des éléments inattendus en premier plan, ce qui accuse encore la sensation de profondeur. Ces points de vue, très modernes, annoncent d'une certaine manière, la photographie à la fin du XIXe. Parfois déroutants, ces éléments, comme le pilier du pont Eitai dans la vue de Tsukudajima, ou le prunier en fleurs dans la vue d'Umeyashiki, ont la fonction d'introduire la notion de perspective mais ils nous aident également à apprécier la beauté particulière d'un site, comme la glycine du sanctuaire de Kameido Teinman. Un examen plus attentif des éléments de la composition montre qu'Hiroshige essaie parfois d'entrainer notre regard en diagonale, d'un côté à l'autre et retour, dans une sorte de V horizontal.
"Les cent vues célèbres d'Edo", est incontestablement, avec les séries du Tokaido, l'une des séries les plus populaires et marquantes de l'oeuvre d'Hiroshige. La série a connu de nombreuses variantes et de très nombreuses éditions, elle constitue un pan majeur de l'oeuvre de Hiroshige.
D'après Hiroshige, Matthi Forrer ; éditions Citadelles et Mazenod, 2017.