Parmi les images qui sont intimement liées au Japon, il y a celle du Sumo. Pratique sportive ancienne qui perdure, même si elle paraît un peu vieillotte pour les jeunes générations, il est courant d'entendre que lorsqu'on commence à s'y intéresser, c'est comme un virus, on devient accroc !
Considérés comme des demi Dieux, les lutteurs de Sumo (les rikishi) ont un statut très particulier pour les Japonais ! Pour ceux qui ont voyagé au Japon, peut-être avez-vous assisté à un attroupement soudain et fébrile quand un célèbre rikishi se promène dans la rue : une foule se forme et chuchote, on le regarde passer et on prend des photos, on le salue respectueusement lorsqu'il vous croise, quelque chose de sacrée flotte dans l'air ...car le sumo n'est pas qu'un sport, il est bien plus que cela, c'est un autre monde.
Quel est donc la magie et ce sentiment quasi religieux qui entoure ces hommes ?
Un peu d'histoire ...
Le terme de sumo signifie combattre, et cette pratique remonte très loin dans l'histoire du Japon. Elle est même liée à la légende de la création de l'île ainsi qu'à la famille impériale ! Ni plus, ni moins !
En effet on trouve sa mention dans le Récit des Temps Anciens, écrit en 712, premier livre d'écriture japonaise, qui relate la victoire de Takemikazuchi contre Takeminakata, les deux Dieux anciens qui s'affrontèrent lors d'un combat de sumo. C'est suite à sa victoire que Takemikazuchi obtint la possession des îles japonaises et que fut fondée la famille impériale.
Mis à part cette légende, il semble que les combats sumo soient apparus il y a près de 1 500 ans, tout d'abord sous forme de rituels religieux shinto : des combats sumo, des danses et du théâtre étaient dédiés aux esprits (kami) en même temps que des prières pour obtenir de bonnes récoltes. Le sumo est ainsi un art qui reste lié à la spiritualité shinto, et lui emprunte nombre de ses rituels indispensables à la bonne tenue du combat.
L'unification du Japon sous le shogunat Tokugawa, en 1603, est suivie d'une période de paix et de prospérité, marquée par le développement d'une classe aisée de commerçants. Des groupes de sumo professionnels sont créés pour divertir la classe bourgeoise et le combat sumo prend sa forme actuelle, en tant que sport national du Japon à partir du XVIIIe siècle.
Bien sûr pour accompagner l'engouement pour cette pratique, les lutteurs qui petit à petit deviennent des êtres à part, vont devenir des sujets d'estampes japonaises. Plusieurs artistes illustrateurs, de la période fin Edo et début Meiji., vont en faire leur spécialité et nous laisser de magnifiques portraits, immortalisant ainsi ces hommes hors du commun.
Comment les Sumo sont-ils formés ?
Pour devenir lutteur de sumo, comment fait-on ? si l'idée vous effleure, sachez qu'il vaut mieux être Japonais, de très rares pays autre que le Japon ont développé une passion pour ce sport, la Mongolie en est un exemple.
Ensuite il est préférable d'avoir une forte corpulence, et l'envie de voir son corps devenir large et imposant. Un rikishi professionnel a en moyenne un poids de 150kg pour 1,80 m. Ceci pour avoir le centre de gravité le plus bas possible avec une grande force musculaire et une puissance permettant de supporter le choc de son adversaire.
Puis accepter une formation très stricte, qui commence jeune, durant laquelle vous bénéficierez après le lever à 5h du matin, d'un entrainement intensif jusqu'au combat, à jeun, avant de manger copieusement pour prendre pas loin de 8000 calories par jour, (principalement des ragoûts, une grande quantité de riz et de la bière). Vous pourrez enfin, après diverses corvées, faire une bonne sieste pour mieux stocker toutes ces calories. Et enfin accepter d'être souvent blessé, aucune protection ne vous protège lors des combats et tous les rikishi sont victimes régulièrement de blessures qu'ils supportent sans rien laisser paraître.
Devenu Rikishi professionnel, vous pourrez alors porter la fameuse ceinture blanche que l'on tourne autour de ses hanches appelée mawashi, tenue traditionnelle du lutteur lors de tous les combats : elle peut peser jusqu'à 4kg et mesure 8 mètre de long. Et bien sûr vous serez coiffé, comme l'était les samouraïs, avec le chignon sur l'arrière de la tête.
Les mystères de la pratique du combat de Sumo
Les rituels et les règles du combat sont nombreuses et peuvent nous apparaître obscures ... Quelques éclaircissements pour mieux suivre un combat :
Les lutteurs, ou Rishiki , (ce qui signifie homme fort), arrivent en file en arborant le kesho-mawashi, un tablier joliment cousu de soie, richement brodé avec des motifs différents et ourlé de franges. Seuls les lutteurs de sumo de haut rang en possèdent et il est utilisé pour les cérémonies d’entrée d’un tournoi. Puis ils se positionnent en cercle à l'intérieur du ring et se font face. Ils tapent dans leurs mains pour demander l'attention et la faveur des dieux. Ils soulèvent légèrement leur tablier et lèvent leurs mains pour montrer qu'ils ne portent pas d'armes, puis ils se retirent. Cette cérémonie a lieu plusieurs fois dans l'après-midi.
Le combat va-t-il commencer ? pas encore tout à fait, le yobidashi ou annonceur va d'abord annoncer les lutteurs et leur demander de monter sur le dohyo, (l'espace central, délimité par un cercle). Les combattants se saluent puis effectuent une préparation mentale de quelques minutes. Vont commencer alors des rituels de purification, issus des cérémonies shintoïstes.
Ils commencent par faire un shiko (rituel qui consiste à lever la jambe très haut pour la frapper fort sur le sol) avant de boire et recracher une coupe d’eau (chirkara mizu). Ensuite ils lancent une poignée de sel sur le sol pour le purifier. Enfin, les deux lutteurs avancent au centre du dohyo face à face, se mettent accroupis, frappent leurs mains et tendent leur bras (chiri chôzu).
Le combat peut alors démarrer, sous le regard de l'arbitre qui tourne son éventail. Les deux lutteurs qui ne se sont pas quitté des yeux, touchent le sol avec leur poing avant de s'élancer l'un contre l'autre. "Il n'y a ni pensée de victoire, ni peur de perdre, et il n'y a pas de plan. Ils savent que ce qui va se passer ensuite se passera de manière complètement naturelle, quelle que soit l'issue." (La voie du sel, le sumo et la culture au Japon. Ash Warren ; édition Sully, 2024)
Ce premier choc, violent, cet engagement, s'appelle le tachai-ai et sonne le début de l’attaque L’objectif est ensuite de forcer son adversaire à sortir du cercle ou à poser au sol une partie de son corps, en dehors de ses pieds.
Il existe évidemment une grande diversité de techniques de corps à corps dans cette lutte qui dure très peu de temps, elles vont être plus ou moins appréciées par le public, averti et connaisseur qui manifeste alors à grand bruit sa satisfaction ou sa déception. Il y aurait 82 prises différentes dans le sumo. Il est interdit, cependant, de tirer sur les cheveux, de viser les partis génitales ou le plexus, d'étrangler ou de frapper avec le poing fermé.
Le vainqueur du combat est celui qui fait chuter son adversaire, mais le rikishi qui gagne son match doit rester humble, comme dans tous les arts du Japon, et par conséquence dans les arts martiaux, "la pratique est le chemin. Le sumo, comme le karaté, l'art du thé, et la calligraphie est basé sur l'idée de pratique sans fin, d'un cycle de répétition perpétuel, et non l'idée de maitrise, qui serait un point final. (...) ce voyage est sans fin. Pour les rikishi, cette conception est d'une importance primordiale concernant leur façon de vivre et de combattre. " (op. cit.)
Maintenant si vous souhaitez rencontrer un de ces lutteurs de légende, allez faire un tour vers Ryogoku Kokugikan Sumo Stadium, le lieu emblématique à Tokyo qui accueille les combats lors de la saison des grands tournois nationaux. Ou en attendant, régalez-vous avec les superbes portraits dans nos estampes japonaises.
Et si vous désirez en savoir plus encore sur cet art et le monde intrigant du sumo, nous vous conseillons le très bon livre de Ash Warren : La voie du sel, le sumo et la culture du Japon aux Editions Sully.