Qu'est-ce que le mouvement Shin-Hanga ?

Qu'est-ce que le mouvement Shin-Hanga ?

On vous fait ici un petit point sur le mouvement Shin-Hanga, dont on commence à entendre parler beaucoup, que nous aimons tellement et dont nous avons de nombreuses estampes à la boutique. 

On peut voir, à notre plus grand plaisir, l'intérêt croissant qu'exercent les artistes de cette période, le début du XXe, sur le public en France et en Europe, en particulier sur les jeunes générations. Des expositions voient le jour, comme celles de la Fondation Custodia, en 2020 ou celle toute récente du Musée d'Art et d'Histoire de Bruxelles. Des livres ont récemment étaient édités, ( dont celui de Brigitte Koyama Richard aux Editions Scala)

Il n'est jamais trop tard ! Il est vrai qu'on a pris du temps, en Europe, et tout particulièrement en France pour s'intéresser sérieusement à ces artistes et à leurs oeuvres. Fascinés toujours par les estampes du XVIII et XIXe siècle, de Utamaro à Hokusai qui avaient tant influencé les artistes modernes occidentaux. Les Américains par contre, présents sur le territoire japonais jusque dans les années 50, ont très vite adhéré à l'esthétique de ces "nouvelles" estampes et les ont collectionnées. Il apparaît qu'aujourd'hui de très nombreux amateurs d'estampes japonaises découvrent ces artistes, collectionnent leurs oeuvres qui prennent, pour certains noms, une côte certaine sur le marché de l'art. 

Le début du mouvement  

Qui dit estampe japonaise, dit La Grande Vague de Hokusai, une œuvre publiée en 1830 à la fin de l’époque d’Edo. L’estampe, produite en masse, est alors le moyen le plus répandu de diffuser des images. Mais au début du XXe siècle, après des années de modernisation et l'influence grandissante de l'Occident au Japon, l’estampe est menacée par une nouvelle technologie révolutionnaire : la photographie, après avoir été concurrencée par la lithographie. 

Le shin-hanga que l’on peut traduire par nouvelles estampes va naitre dans ce contexte, de la volonté des éditeurs de l'époque et un, en particulier : Watanabe Shozaburo. En effet, inquiet de cette perte d’intérêt pour les estampes traditionnelles, il veut créer un nouveau style et relancer la mode pour cet art populaire, en s’appuyant sur le marché international.  Ce mouvement est donc, comme toujours dans l’histoire de l’estampe au Japon, indissociable de la volonté des éditeurs.

Watanabe Shozaburo est un jeune éditeur talentueux et amoureux de la technique de l'estampe. Il comprend que pour continuer d'exister, il doit trouver un souffle nouveau et s'appuyer sur de jeunes artistes. Il va donc confier d’abord à Shotei (Takahashi Hiroaki) la création de nouvelles estampes de paysage qu’il vend à côté de retirages d’oeuvres traditionnelles mais il ne les trouve pas assez novatrices. En quête d’un style plus "moderne", c’est l’Occident qui va lui apporter quand il rencontre, en 1915, le peintre autrichien Capelari venu à Tokyo étudier la peinture japonaise : celui-ci passe à la boutique de Watanabe qui lui donne des pinceaux japonais et l'incite à faire des croquis s'inspirant de l'esthétique de l' ukiyo-e (estampes traditionnelles). Il lui propose, ensuite, de graver des bois pour éditer une série d’estampes à partir de ses dessins. Capelari accepte avec joie, et ce sont douze gravures de l'artiste qui seront éditées par Watanabe.                                 

L'art japonais après avoir tant influencé les artistes occidentaux à la fin du XIXe va en écho se nourrir des oeuvres de ces mêmes artistes modernes et ainsi se renouveler. Il est toujours fascinant de voir les allers-retours d’influences entre l’Europe et le Japon, qui depuis longtemps ne cessent de se croiser. Le mouvement shin-hanga en est un résultat évident. 

C'est avec l'artiste Ito Shinsui que Watanabe continue de travailler. Il le rencontre à une exposition de Kiyokata Kaburagi, peintre et illustrateur reconnu, dont il était l'élève. Impressionné par l'une de ses oeuvres, Watanabe décide de réaliser une estampe à partir de celle-ci ; ce sera Face au miroir, un magnifique portrait de femme vue de profil, face à son mirroir que l'on ne voit pas, dans un kimono rouge sombre éclatant, cette estampe rencontrera un succès immédiat.

Shinsui va dans la foulée, réaliser plusieurs paysages pour Watanabe. Comme les jeunes artistes, peintres et illustrateurs de cette période, il est passionné par l'art venant d'Europe. Les artistes japonais avaient depuis l'ère Meiji, emprunté aux artistes de l'ouest leur travail sur les clairs- obscurs, sur la perspective, sur les dégradés de couleurs. Les premiers paysages de Shinsui réalisés dans les années 1916/1920, sont dans cette continuité, remarquables et tranchent avec les estampes traditionnelles.

De même dans ses portraits, tout en restant dans la tradition des estampes de belles femmes (bijin-ga), l'artiste va largement s'inspirer des oeuvres de Capelari, Après le bain, une de ses premières estampes est directement inspirée de l'oeuvre de l'Autrichien :  Femme avec chat. (voir ci-dessous).                                           

Le mouvement shin-hanga était né et de nombreux artistes allaient créer des oeuvres brillantes et redonner à l'estampe japonaise un souffle nouveau et passionnant.

D'un point de vue technique, Watanabe était extrêmement soucieux de la nécessité d'une fabrication parfaite et il va déployer toute son énergie à s'entourer des meilleurs artisans, graveurs et imprimeurs.  Une attention très méticuleuse est donnée à la fabrication pour arriver à une qualité et une finesse d'impression étonnante. 

En effet l'estampe shin hanga reste un art d'imprimerie et un produit commercial fabriqué suivant une stricte division du travail, comme il existe depuis le début de la production d'estampes : l’éditeur passe commande à un dessinateur, puis un graveur fabrique les bois, un par couleur,  qui serviront à l’imprimeur, chargé des tirages. Pour réaliser ces étapes délicates, on fait appel aux artisans les plus habiles et pour donner plus de valeur au produit, les tirages seront parfois limités à quelques centaines et numérotés pour plaire aux clients étrangers (tranchant avec l'habitude dans l'édition d'estampes où les tirages n'étaient jamais numérotés). Mais bien souvent les éditeurs dérogeront à ce principe. Ce type de production exige des artisans une maîtrise époustouflante de leur savoir-faire : certaines estampes contiennent jusqu’à 34 nuances colorées, ce qui se traduit par une multiplication des blocs de bois gravés et encrés pour l'impression.

Les artistes incontournables du mouvement shin-hanga

On va retrouver dans ce mouvement les thèmes de prédilection qui étaient ceux de l'estampe traditionnelle, à savoir la représentation des femmes (bijin-ga), le paysage rural ou urbain, les saisons, les fleurs et les oiseaux, les acteurs de théâtre. Le thème des saisons reste un grand classique, avec quelquefois un même paysage traité à différentes périodes de l’année et évidement les paysages enneigés qui restent une thématique incontournable, tout comme la pluie, les nuits de pleine lune ou la floraison des arbres au printemps. Le rendu de la neige sous toutes ses formes montre l’étendue du talent des artistes. Des calmes paysages dont on perçoit le silence feutré, jusqu'aux violentes chutes de neige représentées par une couche dense de petits traits fins.

Les estampes de Hasui Kawase par exemple en sont une parfaite illustration. Artiste phare de ce mouvement (et également ancien élève de Kiyokata), il va vite devenir un des plus reconnus, soutenu par Watanabe, l'éditeur de la plus grande partie de son travail. Son oeuvre principalement de paysages, dans la lignée de ceux de Shinsui, est tout à fait caractéristique du Shin-hanga : des atmosphères évoquées souvent très mélancoliques, la passion des paysages du Japon, les détails du temps qui passe au travers des saisons sans oublier les prouesses techniques des artisans qui, comme on l'a dit, sauront avec finesse utiliser tout leur savoir-faire pour créer des estampes aux teintes si nuancées.

Mais à côté de Hasui , de nombreux autres artistes, travaillant pour Watanabe ou d'autres éditeurs , comme Kawai et Sakaguchi, Ikeda, Doi Hanga, ou Unsodo vont se faire remarquer : comme Koitsu Tsuchiya et ses estampes nocturnes, Kasamatsu Shiro, Natori Shunsen pour ses portraits d'acteurs ou encore Ohara Koson, reconnu pour ses portraits d'animaux . En fait toute une génération d'artistes, dans une production d'oeuvres prolifique, va renouveler l'image de l'estampe, et mixer parfaitement les apports des maîtres de l'ukiyo-e à une esthétique venue de l'ouest, pour créer leur propre identité. 

 

 

De même dans les estampes représentant des femmes et magnifiant une féminité idéale (Bijin-ga)), de nouveaux artistes vont prendre la relève de Utamaro, Kunisada ou Chikanobu. Ainsi Shinsui dont on a déjà parlé continuera à réaliser de magnifiques portraits de femmes, mais également Goyo Hashiguchi qui, dans les années 20, va créer une série restée célèbre, en grand format d'estampes représentant des femmes dans leur intimité, après ou avant le bain, se maquillant etc... Les fonds sont micacés, dans la tradition des estampes de brocards de Utamaro, les impressions sont d'une qualité extreme, le papier est travaillé comme une matière, incisé ou gaufré pour créer du relief. Goyo va avec ses oeuvres donner des images très quotidiennes de ces femmes tout en magnifiant leur beauté. 

On peut citer également Kotondo Torii, lui aussi élève de Kiyokata Kaburagi, et en tant que fils de Torii Kiyotada IV, issu d'une des plus grandes écoles de l'estampe japonaise, celle des "Torii", dont l'un des fondateurs est Torii Kiyonaga, très grand artiste du XVIIIe, de la grande époque de l'ukiyo-e.  Il réalisa de très beaux portraits en grand format, non pas avec Watanabe mais avec d'autres éditeurs comme Ikeda ou Kawai et Sakaguchi. 

On ne peut pas parler du mouvement shin-hanga sans évoquer Kiyokata Kaburagi qui fut le maître de nombreux artistes de ce mouvement comme Shinsui, Hasui, Kotondo ou Yamakawa. Maître incontournable de la peinture nihonga du XXe siècle, il fut l'élève de Toshikata Mizuno, peintre classique mais aussi illustrateur de livres (les kuchi-e). Très fin connaisseur de l'art occidental, il sut s'en inspirer tout en étant fidèle à la peinture traditionnelle. Figure importante, et reconnu de son vivant, du monde artistique japonais, son influence sur la nouvelle génération d'artistes du shin-hanga est évidente. 

Un autre artiste a laissé son nom attaché à ce mouvement, il s'agit d'Hiroshi Yoshida, grand artiste peintre également.  Hiroshi Yoshida fut un très grand voyageur, il partit en Europe puis aux Etats-Unis, avec sa femme Fujio, artiste elle-même, où il vendit rapidement ses oeuvres. Il réalisa également, à côté de ses aquarelles et peintures à l'huile, de très nombreuses estampes suite à sa rencontre avec Watanabe Shozaburo avec lequel il travailla quelques temps. Mais très vite, voulant contrôler lui même tout le processus de la gravure et de l'impression, il créa ses propres studios, s'entourant d'artisans de son choix. Il travailla particulièrement à parfaire la technique des dégradés, pour obtenir des estampes avec un rendu proche de l'aquarelle, ce qui nécessitait de très nombreux passages de couleurs pour renforcer une teinte ou accentuer une profondeur. Très influencé par les Impressionistes, il aimait réaliser à partir des mêmes planches, plusieurs versions d'un dessin avec des nuances de teintes différentes. Il continua toute sa vie à voyager autour du monde laissant une oeuvre foisonnante. 

Son fils, Toshi Yoshida travailla très jeune avec lui et devint également un artiste d'estampes important, à cheval entre le shin-hanga et l'époque contemporaine, il a construit une oeuvre très diverse, avec des estampes proches de l'esthétique développée par son père jusqu'à des oeuvres abstraites ou des portraits animaliers pour lesquels il excelle. Les studios Yoshida, créés par Hiroshi existent toujours et continuent d'éditer les oeuvres de Toshi.  

Enfin, dans le tour d'horizon de cette époque de grande effervescence, il faut mentionner un autre élan parallèle au mouvement shin-hanga, qui est le sosaku-hanga, ou estampe créative. En effet, dés les années 1907/ 1910, certains artistes furent désireux de créer des estampes, avec la technique de la gravure sur bois mais aussi sur cuivre, ou de la lithographie, en s'émancipant complètement des éditeurs. L'ambition était de contrôler tous les temps de la fabrication. Ils dessinaient, gravaient et imprimaient eux-mêmes leurs estampes. Une revue artistique Hosun (Un pouce carré)  réunit autour d'elle les jeunes artistes de ce mouvement. Hakutei Ishii, créateur de la revue, Yamamoto Kanae, Morita Tsunetomo en furent les principaux acteurs. Puis c'est pendant les années de guerre, (1939-45) qu'un groupe nouveau se constitua autour d'un artiste, Onchi Koshiro. Yamaguchi Gen, Saito Kiyoshi et Jun'ichiro Sekino, entre autres, prendront part à ce groupe. Bien sûr les tirages de leurs estampes étaient beaucoup plus réduits, du fait de l'absence de l'éditeur, elles sont d'ailleurs aujourd'hui difficiles à trouver. Mais l'influence de ces artistes, dont certains participèrent aux deux mouvements : shin-hanga et sosaku-hanga, sur le monde artistique japonais est indiscutable. Ils adoptèrent le concept européen de l'artiste, unique créateur de l'oeuvre et qui à ce titre doit dominer toutes les phases de sa fabrication. 

A vous maintenant, de découvrir les artistes et les estampes d'un mouvement qui a su raviver l'art de l'estampe, témoin des liens ténus entre le Japon et l'Occident et passionnant à découvrir ! 

 

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