Le Dit du Genji... sujet de si nombreuses séries d'Estampes Japonaises,
Qu'est-ce que c'est ?
Le Dit du Genji, on en entend parler très vite, dés que l'on s'intéresse à la culture japonaise, et sur les estampes, c'est un thème récurent que bien des artistes ont exploré et illustré du XVIIIe à aujourd'hui. Mais quel est donc ce roman, ces mille pages tant de fois citées ?
On vous fait ici un petit aperçu de ce roman-fleuve, et surtout n'en soyez pas effrayés et bien au contraire, laissez-vous aller à la rêverie, en le parcourant, même si vous ne le lisez pas en entier, vous plongerez dans les délices des descriptions d'un Japon ancien, mais aussi dans l'intérieur des sentiments humains, universels, complexes qui font de ce récit une oeuvre étonnamment moderne !
Et qui mieux que René Sieffert, le traducteur français passionné qui a traduit le roman en français, version qui est toujours la référence aujourd'hui. (Editions Verdier) , pour le décrire : "pas un instant je n'ai eu le sentiment d'un véritable dépaysement, ni dans le temps, ni dans l'espace, mais au contraire me hantait l'impression constante d'être engagé dans une aventure mentale étonnament moderne. Il m'a semblé découvrir des situations, des analyses des dialogues qui pouvaient avoir été imaginés hier, si ce n'est demain."
Un roman majeur
Le Dit du Genji (genji monogatari) est une saga considérée comme une oeuvre majeure de la littérature japonaise du XIe siècle, attribuée à Murasaki Shikibu, Dame de la Cour impériale, qui vécut entre 973 et 1014. L'oeuvre comprend au total 54 chapitres qui décrivent la vie d'un prince jusqu'à celle de ses descendants, après sa mort.
L'intrigue du livre se déroule pendant l'époque Heian (794 - 1185) et relate la vie d'Hikaru Genji, le fils de l'empereur du Japon et d'une de ses concubines. Il ne peut pas prétendre au trône et est tenu à l'écart du palais mais son charisme impressionnant l'amène à être à l'origine d'une nouvelle branche de la famille impériale. Le terme de "genji" est d'ailleurs l'appellation officielle, honorifique qui est accordée à un fils d'empereur qui ne peut accéder au trône.
L'oeuvre, tout en étant un roman et Genji un personnage fictif, se présente comme un récit véridique, (monogatari 物語 en japonais), qui raconte la vie de ce prince impérial, d'une beauté extraordinaire, poète accompli et charmeur de femmes.
Il s'agit pour beaucoup du premier roman psychologique au monde. Le caractère intemporel des relations humaines y est pour beaucoup et si les us et coutumes de la cour peuvent nous être étrangers, les vicissitudes que rencontrent les personnages sont bien plus familières. Par bien des aspects l'œuvre est une critique incisive et complète des mœurs de la cour de Heian mais avec un regard intérieur, intime car après tout l'auteure est elle-même un membre de la cour. On y trouve les thèmes de la recherche de l'amour, de la femme trahie, du mari jaloux, de la courtisane, du séducteur impénitent, de la fascination du pouvoir, des différentes classes sociales, de l'attrait pour l'argent, en somme bien des situations transférables en d'autres lieux et d'autres temps.
Une des difficultés de lecture réside dans le fait que les personnages (plus de deux cent) sont presque tous nommés uniquement par leur titre dans la Cour impériale. L'histoire durant plusieurs dizaines d'années, ils évoluent, et donc changent de titre. En effet, à l'époque Heian, on se référait aux gens de la cour par leur titre, l'usage du nom étant considéré comme grossier. Ainsi les personnages cités par leur nom dans le roman sont souvent des servants.
Petit tour de quelques uns des Personnages :
-Le Genji (光源氏 hikaru Genji, le Genji radieux). Le héros du roman. Homme de goût reconnu unanimement par toute la cour, il use de son charme pour séduire toutes les belles femmes de la cour. Même si par la suite, ses conquêtes s'espacent un peu du fait de l'âge, il reste un séducteur dans l'âme. Il atteint sous le règne de son fils illégitime le titre de Grand ministre et dirige l'empire. Titres: Commandant, Général, Grand conseiller, Ministre du dedans, Grand ministre.
-L'Empereur (桐壺帝, l'empereur Kiritsubo, littéralement empereur du clos au paulownia). C'est le père du Genji qui règne au début du roman. Il se retire pour laisser son fils, le frère du Genji régner.
-La Dame du clos aux paulownia (桐壺更衣 littéralement la dame de cour du clos au paulownia). C'est la mère du Genji que l'empereur a aimé passionnément. Sans appui à la cour elle ne pourra assurer à son fils une position sûre, aussi, lui octroyer le titre de Genji lui évitera bien des intrigues. Elle n'a pas d'autres enfants que le Genji.
-La Dame du clos aux glycines (藤壺中宮 Fujitsubo, littéralement épouse seconde du clos aux paulownias). C'est une princesse de haut rang dont l'empereur s'éprend lorsque la dame du clos au paulownia s'éteint. Elle ressemble de façon troublante à cette dernière. Le Genji va nourrir toute sa vie une passion coupable pour cette dame et même lui faire un enfant. Rongée par le remords, elle se retirera du monde après la mort de l'empereur.
-Dame Aoi, (葵の上, littéralement Dame des Mauves). Il s'agit de la première épouse du Genji. Elle est la fille du ministre de la gauche et un peu plus agée que le prince. C'est une nièce de l'empereur par sa mère et surtout elle est la soeur du commandant chef du secrétariat. Elle mourra peu de temps après avoir mis au monde l'enfant du Genji, hantée par un esprit maléfique.
-Le Commandant chef du secrétariat, (頭中将/内大臣, Tō no Chūjo, littéralement chef lieutenant général/le seigneur gardien des sceaux). C'est le frère de Dame Aoi, l'épouse du Genji et l'ami de ce dernier. Promu progressivement jusqu'aux plus hautes sphères de l'état parallèlement au seigneur Genji, il sera son éternel rival lors de ses conquêtes amoureuses puis à la cour où chacun essaiera d'éclipser l'autre par l'influence. C'est lui qui dirige l'empire dans les faits durant une bonne partie du roman. Titres: Moyen conseiller surnuméraire, Grand conseiller, Général de la droite, Ministre du dedans, Grand Ministre.
-La Dame de la sixième avenue. (六条御息所, littéralement lieu honorable de la sixième avenue). C'est l'épouse du frère aîné de l'empereur du clos aux paulownia qui est décédé avant le roman. L'empereur veille particulièrement sur elle en mémoire de son frère défunt. Amante du Genji, sa jalousie envers la femme de ce dernier, Dame Aoi sera responsable de sa mort par l'acharnement d'un esprit mauvais inspiré par elle.
-Dame Murasaki, (紫の上, littéralemeny Dame du Grémil, souvent référée par Dame de la deuxième avenue au début ou Dame de céans dans le livre. Il s'agit de la nièce de la dame du clos aux glycines que le Genji va rencontrer par hasard dans un monastère où son père, Ministre délégué aux affaires militaires, ne s'occupe guère d'elle. Elle est encore très jeune mais lorsque sa grand mère meurt, il la fait enlever et la loge chez lui, dans sa résidence de la deuxième avenue afin d'entreprendre son éducation dans le but d'en faire une épouse idéale et du meilleur goût. Le personnage a une telle présence dans l'œuvre que l'auteur reçoit de la part de la cour de l'époque le nom de la dame comme surnom. Un des tout premiers personnages, sinon le plus important. Tout en acceptant quasiment tous les écarts de conduites du Genji en apparence, elle lui reproche souvent sa légèreté et son inconstance. Lui s'appuie sur elle en toute occasion et la place devant toutes les autres femmes pour toutes ses qualités.
-Le second Empereur. Demi-frère du Genji, il admire son jeune frère et le protège, même lorsque sa mère, la Dame du Kokiden essaie de l'évincer en permanence. Cette dernière obtient finalement gain de cause lorsque le Genji séduit une de ses maîtresses, ce qui lui vaudra l'exil. Lorsque le Genji revient de son exil, il le rétablit dans les plus hautes fonctions. Il finit par se retirer dans la montagne, laissant le trône au fils illégitime du Genji. A la fin de sa vie, il est pris d'inquiétude concernant le sort de sa fille préférée, la princesse troisième, et va arranger son mariage avec le Genji.
-Le troisième Empereur. Fils illégitime du Genji avec la Dame du clos aux glycines, il est désigné héritier du trône par son père putatif, l'Empereur Kiritsubo. Sa ressemblance avec son père véritable est frappante. Pris de nombreux doutes quant à sa véritable ascendance, il finit par apprendre la vérité par un moine confident de sa mère. Il s'en ouvre alors à son père et lui propose même le trône. Ce dernier refuse l'honneur mais gagne dès lors énormément en influence.
Le contexte
L’époque de Heian fut une période de paix, une sorte de bulle historique immense. C’est cette période de quatre siècles de paix où les arts se développent. Et avec eux apparaît une culture japonaise propre, car jusque-là, le Japon est surtout influencé par la Chine.
Dans ce contexte, de nombreuses poétesses, proches de la cour vont produire des oeuvres, comme Murasaki Shikibu, peuplées de personnages féminins raffinées et complexes. Murasaki Shikibu, est une sorte de “Jane Austen médiévale”, issue d’un rang aisé et critique de son époque. Son père, poète et gouverneur, lui facilite l’accès à une éducation littéraire, à une époque, autour de l’an 1000, où les femmes ne sont pas lettrées. Mariée à un homme plus vieux, elle est dame d’honneur à la cour impériale à Kyoto, la capitale de l’empire. Murasaki Shikibu y observe les jeux de pouvoir et de séduction, qu’elle va retranscrire dans un recueil de poèmes, qui deviendra Le Dit du Genji.
Enfin c'est un monument que l'on peut lire mais aussi parcourir... et qui regorge de détails sur la vie au Japon. Ce livre si populaire et ancré dans la culture japonaise, même pour ceux qui ne l'ont pas lu, a évidement donné lieu à de magnifiques séries d'Estampes Japonaises !
L'art de l'Estampe, art de l'illustration et art populaire par excellence ne pouvait ignorer cet incontournable et s'en est inspiré largement : grâce aux oeuvres de Kunisada Toyokuni III ou de Kuniyoshi et tant d'autres, on peut aujourd'hui toujours rêver près du Prince Genji !